Centre Régional d'Initiation à l'Écologie • Ferme d'Uccle • Région Bruxelles Capitale

Centre Régional d'Initiation à l'Écologie
Ferme d'Uccle • Région Bruxelles Capitale

Le roman du renard Bruxellois

Il y a quelques années, le documentaire animalier intitulé « Bruxelles Sauvage, faune capitale » a connu un beau succès d’audience auprès d’un public régional, national mais aussi international. Il avait pour fil rouge un fil roux : le renard devenu citadin. Mais comment le goupil est-il devenu Robin des villes ? par Jean Rommes, Président de la CEBO (Commission de l’Environnement de Bruxelles-Ouest)

Une éradication impitoyable

Au début du XIXe siècle, le renard roux était encore considéré comme d’apparition commune dans toute la Belgique. Son éradication d’une grande partie de la Flandre peut être située dans le courant de la première moitié de ce siècle, sous l’effet combiné de changements drastiques du paysage (déboisement) et de persécutions (piège, poison, fusil). Les renards furent considérés comme des concurrents à éliminer, non seulement par les chasseurs, mais aussi par la population des campagnes.

À cette époque de crises alimentaires dont celle particulièrement aiguë qui, en 1845, fut provoquée par le mildiou de la pomme de terre (40 000 à 50 000 morts en Belgique), chaque atteinte aux produits de la ferme était devenue insupportable et le renard roux, visiteur assidu des poulaillers, persona non grata. Pratiquement toute la partie ouest de la région flamande (Flandres occidentale et orientale, une partie de la province d’Anvers) et le Hainaut s’apparentèrent dès lors à un « no fox land ».

En Brabant, les grands massifs forestiers (Soignes, Meerdael…) constituèrent alors des zones de refuge pour des populations relictuelles de renards. Situation cependant précaire car en Forêt de Soignes, ceux-ci furent complètement éliminés au début du XXe siècle, la dernière mention d’un renard datant de 1925 à Boitsfort.

Ce n’est qu’à la fin de la dernière guerre qu’il réapparut dans le massif sonien, lorsque des animaux s’échappèrent de deux élevages situés le long des lisières, au Rouge Cloître et à la Grande Espinette. À partir de ces deux souches, une recolonisation timide de la forêt fut constatée, même si chaque nichée découverte était encore impitoyablement massacrée par les gardes-chasse.

La reconquête de la Flandre

La situation de notre goupil n’allait pas s’améliorer avec l’apparition en 1966 de l’épizootie de rage vulpine en Wallonie. Aux effets directs de cette maladie mortelle vinrent s’ajouter le gazage des terriers et l’octroi de primes pour le tir du canidé.

Ce n’est qu’à partir de 1989 que la situation évolua favorablement avec le lancement couronné de succès d’une vaste opération de vaccination orale au moyen d’appâts. Dans le même temps, en Flandre, un important changement de mentalité à l’égard du renard mit un terme à son extermination systématique et permit la recolonisation de l’ouest du plat pays à partir des populations subsistant dans le nord de la Campine anversoise, la province de Limbourg et le Brabant oriental. La conquête de Bruxelles allait s’en trouver grandement facilitée.

Renard urbain

Le phénomène d’urbanisation des renards a débuté en Grande-Bretagne durant l’entre-deux guerres et a progressivement gagné le centre de cités comme Londres ou Bristol, mais aussi des villes continentales telles que Stockholm, Oslo, Copenhague ou Amsterdam. Depuis le milieu des années 1980, une seconde vague d’urbanisation est observée en Allemagne, en Suisse (Zurich) et en France (Paris). Bruxelles allait aussi s’inscrire dans ce mouvement, les communes limitrophes de la Forêt de Soignes étant les premières touchées. Les voies et talus de chemin de fer furent mis à profit en tant qu’axes de pénétration en ville. Cette évolution est suivie par Bruxelles Environnement, l’administration régionale de l’environnement et de l’énergie qui gère aussi les plaintes, conseille et informe le public. Les renards sont ainsi devenus des animaux de plus en plus familiers aux habitants de Bruxelles, en particulier ceux du sud et du sud-est de la Région. Pour sa part, même si les densités de groupes familiaux de renards y sont moins élevées, le nord-ouest de Bruxelles n’a pas échappé à cette colonisation.

Une vallée accueillante

Dans la vallée du Molenbeek, la réserve naturelle du Poelbos et ensuite celle du marais de Jette, située à proximité immédiate, ont constitué des sites d’implantation idéaux pour les premiers renards reproducteurs. Ils y ont trouvé un terrain parfaitement adapté au creusement de leurs terriers, qu’il s’agisse des pentes de l’ancienne carrière de grès calcaire ou du talus de chemin de fer qui longe les zones boisées du marais. Ne devant pas craindre la présence de chiens, ils pouvaient y inscrire à leur menu de nombreux petits rongeurs ainsi que des lapins.

L’observation des terriers à l’époque de la sortie des renardeaux, fin avril-début mai, a permis de confirmer la mise en place d’une population locale. Ces observations limitées à quelques naturalistes discrets et respectueux de la faune sauvage ont progressivement pu être étendues à un plus large public, notamment lors des visites guidées organisées mensuellement par la Commission de l’Environnement de Bruxelles-Ouest.

Depuis lors, les observations se sont multipliées dans de nombreux autres sites de la vallée du Molenbeek (bois du Laerbeek à Jette, marais de Ganshoren, Zavelenberg et Wilder à Berchem-Sainte-Agathe…) et débordent à présent largement dans les quartiers urbanisés (parcs, jardins, cimetières) où la mise à disposition de nourriture par certains habitants n’est pas étrangère à cette familiarité.

Au-delà de la vallée, des indices probants trouvés dans le site classé du Scheutbos à Molenbeek-Saint-Jean ont trahi la présence de leur propriétaire : crottes noires, effilochées, contenant des noyaux de cerise et des restes de fruits rouges, ou des morceaux de crânes de mulots ou autres représentants de la gent trotte-menu.

Des ressources alimentaires en abondance

L’analyse des crottes du renard confirme que celui-ci est un prédateur omnivore. Constitué de proies vivantes, de charognes, de végétaux et de déchets ménagers, son régime varie selon le biotope, la période de l’année, l’âge du renard et ses habitudes de chasse, ses besoins nutritionnels et ceux de sa portée. Le renard est très friand de rongeurs et particulièrement de campagnols des champs. Les invertébrés (lombrics, coléoptères) et les végétaux (baies, fruits) représentent également une part importante de son régime. 

En zone urbaine, les ressources alimentaires du renard sont presque illimitées. Outre une nourriture végétale et animale que l’on pourrait qualifier de “classique” (rongeurs, insectes, fruits, etc.), il tire également parti de certains milieux artificiels tels que les nombreuses étendues de pelouses qui constituent un réservoir inépuisable de vers de terre, de petits rongeurs et de lapins. Par ailleurs, l’extension et la modernisation du réseau routier ainsi que l’augmentation du parc automobile ont multiplié le nombre de victimes de la circulation (chats, hérissons, batraciens, etc.). En tant que charognard, le renard profite largement de cette source de nourriture supplémentaire même si, lui aussi, peut être victime du trafic routier.

En outre, face à l’augmentation de la population citadine, de plus en plus de déchets ménagers sont mis à disposition des animaux sauvages et domestiques. Le renard tire donc parti de cette source de nourriture facilement accessible en visitant les poubelles individuelles ou publiques et les dépotoirs.

Renard et autres carnivores

En zone urbaine, renard et chat peuvent se rencontrer au cours de leurs balades nocturnes. Que se passe-t-il alors ? S’ils s’ignorent la plupart du temps, des conflits ne sont cependant pas exclus. S’ils tombent museau à museau, ils peuvent se témoigner une certaine agressivité. Le plus souvent l’interaction est très brève et, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer a priori, c’est généralement le chat qui met le renard en fuite.

Avec le chien, la cohabitation est plus difficile. De manière générale, la présence d’un chien de garde paraît être un bon moyen de tenir les renards éloignés d’une habitation. Cette méthode a notamment porté ses fruits en décourageant maître goupil de s’intéresser de trop près aux poules de la ferme pour enfants de Jette située près du Poelbos.

En l’absence d’agressivité du chien, les deux espèces peuvent cependant se tolérer. Citons le cas d’un renard profitant de la nourriture apportée par un promeneur accompagné de son chien tenu en laisse !

Observations.be

Depuis fin novembre 2008, à l’initiative des associations Natagora et Natuurpunt, un nouvel outil sur Internet est mis à la disposition de tous les naturalistes belges, débutants ou chevronnés et leur permet de gérer leurs propres observations de terrain. Ce portail web (observations.be) de récolte, de partage et de visualisation des données naturalistes permet aussi de suivre l’évolution quantitative des espèces. Ainsi, le nombre de mentions de renards en région bruxelloise ne cesse d’augmenter, atteignant en 2015 le chiffre de 623 observations. Au niveau de la localisation, on y trouve la confirmation de sa présence majoritaire dans le sud-est de la capitale.

État de santé

Une des craintes les plus souvent manifestées par les habitants concerne la transmission de maladies par les renards, en particulier l’échinococcose due au développement de la larve d’un petit ver dans le foie. En Région bruxelloise, sur plus de 100 renards déjà analysés pour la présence de ce parasite, aucun n’a été reconnu porteur. Par mesure de précaution, il reste toutefois conseillé de ne pas toucher les renards trouvés morts, de vermifuger régulièrement les chiens et les chats et de ne pas cueillir de fruits près du sol.

Légendes et auteurs des photos

1.  Renardeau à la fin avril © Magalie Tomas Millan

2. Renard au marais de Ganshoren © Magalie Tomas Millan

3. Renarde et renardeau © Jean Rommes

À neuf semaines, les jeunes commencent à accompagner les adultes dans leurs pérégrinations nocturnes. Ils deviendront progressivement autonomes même s’ils peuvent encore être observés avec leurs parents jusqu’à leur cinquième mois. S’il y a suffisamment de nourriture, une partie des jeunes de la portée peut rester dans le domaine parental.

4. Renardeaux © François Ducobu – www.bruxelles-sauvage.be

Renardeaux recueillis au Centre de soins pour la faune sauvage de la LRBPO à Anderlecht.

5. Répartition des renards roux en Région de Bruxelles-Capitale © Bruxelles Environnement

Article déjà publié dans le Bulletin trimestriel n° 323 de la CEBO en 07/2021.
Publication avec l’aimable autorisation de l’auteur.